Notre armée redoutable et fragile Etait en marche Pour la gloire de l’empereur de Chine Tous en rang Ensevelis dans la terre Nous avons continué notre route Pendant les millénaires Toujours prêts au combat Nos sourires et Nos corps d’argile obstinés Dans la nuit solide immobile.
Bruxelles 11/05/1998
Illustration : L’armée de terre cuite de Qin Shi Huangdi (premier empereur de Chine), v. 210-209 av. notre ère
1 Classe de dernière année d’école primaire. L’instituteur (qui fait aussi fonction de directeur de l’établissement) demande à tous les élèves de former une file. Ensuite, il prend un grand livre, l’ouvre et le dépose ainsi ouvert contre le tableau, sur la rainure destinée aux craies. Il fait signe et la procession commence. Sur les pages déployées, on peut voir la représentation d’effroyables monstres préhistoriques. Comme les autres élèves, je fais partie de la procession. Je m’arrête quelques instants devant les images avant de retourner à ma place. Je reste ébloui par les illustrations. Ce livre fait partie d’une encyclopédie. Je n’avais jamais vu d’encyclopédies.
2 Première année d’école secondaire. Un homme passe à la maison. C’est un représentant de commerce. Il s’attache à démontrer à mes parents tout l’intérêt qu’il y aurait à acheter, pour moi, l’encyclopédie « Tout l’Univers ». Arguments classiques : éveil de la curiosité intellectuelle, compagnon d’études… Mes parents ne sont pas opposés à cet investissement. Mais il faut souscrire un contrat d’achat par lequel ils devront s’engager à acheter un livre tous les mois ou deux. Nous avons peu de moyens. L’investissement est trop important. Le représentant s’en va bredouille en laissant sa carte de visite. Grande est ma déception.
3 Mon père prend la décision : on achètera les livres mais sans engagement automatique et en fonction de nos ressources. Au coup par coup. Je me souviens d’un samedi après-midi où ma mère et moi avons fait le tour de plusieurs librairies. Le volume un était épuisé. Chez moi, la collection « Tout l’Univers » a démarré par le volume deux. Avec un certain agacement de mon père qui aurait voulu tout de même « commencer par le commencement ».
4 Mais l’ordre des volumes n’était pas trop important. L’encyclopédie était constituée d’articles pour l’essentiel indépendants. C’est ainsi qu’au fil du temps l’encyclopédie « Tout l’Univers » est venue s’installer à la maison. Avec des planches et des clous, mon père a réalisé une bibliothèque.
5 L’encyclopédie « Tout l’Univers » m’a toujours fasciné. D’abord pour les illustrations qui étaient remarquables et bien agencées : des dessins vivants, coloriés, suggestifs. Ensuite, lors de la lecture, pour la qualité du contenu.
6 Mes parents qui ne maîtrisaient pas convenablement la langue française ne pouvaient pas m’aider vis-à-vis de celle-ci pendant ma scolarité. Je lisais donc l’encyclopédie. Ce qui me plaisait et m’interpellait tout particulièrement dans « Tout l’Univers » c’était chaque fois le chapeau introduisant les articles. Introduction à caractère littéraire, même lorsqu’il s’agissait de parler de sujets techniques ou scientifiques. Je trouvais ça réellement merveilleux.
7 C’est en étudiant, décortiquant, paraphrasant ces textes liminaires que j’acquis progressivement une certaine compétence en composition française. Je voulais comprendre, à travers les multiples exemples fournis, comment faire démarrer un texte, prolonger un raisonnement, réaliser un corps de texte qui tienne la route, mettre une chute en relief. Si je suis parvenu, par la suite, à écrire des textes littéraires (poésie, prose), plus qu’à mes professeurs de français, j’en suis redevable, au moins initialement, à l’encyclopédie « Tout l’Univers ».
Rumes 8/11/2009
Illustration : Encyclopédie « Tout l’Univers » (série rouge)
« Afrique je te tiens ! » S’était écrié César Surprenant et les augures Et ses soldats (Après être tombé sur la plage Il s’était relevé avec Dans sa main Une poignée de sable)
Où pourrais-je donc trouver ma plage Pour renverser le destin Par la suggestion d’une phrase ? (Les mots ont parfois plus de poids Que les décisions brutales Des assemblées de l’Olympe).
Bruxelles 18/03/1998
Illustration : Buste en marbre de Jules César (Musée archéologique national de Naples, Italie) L’épisode mettant en scène César est tiré de Suétone (« Vie des douze Césars », Jules César, 59)
Curieuse coïncidence. Lorsqu’on visualise, dans un document Word, les caractères cachés, l’on constate qu’entre chaque mot vient s’insérer un point à mi-hauteur des lettres (il s’agit de la visualisation codée de l’espace, en fait).
Exactement comme faisaient les Etrusques, il y a de cela quelques milliers d’années, pour séparer chaque mot. Mais les points des Etrusques n’étaient pas virtuels et composés de pixels sur un écran mais bien gravés, par exemple sur des blocs de tuf.
Les supports et les siècles passent, les langues se succèdent, les analogies restent. Rien de nouveau sous le soleil.
Dans une photo datant de 1955 et intitulée « L’arrivée », le photographe Roger Anthoine (lequel a illustré par de magnifiques images la venue en Belgique des travailleurs italiens de l’Après-guerre) cadre une valise en carton posée sur le quai d’une gare. La valise est entourée d’une ficelle. Sur la valise est écrit en lettres majuscules le nom du propriétaire : MASTROCOLA.ROCCO.DI.VINCENZO.
Avec un point entre chaque mot. Exactement comme dans les adresses électroniques actuelles.
Rumes 3/03/2008
Illustration : Roger Anthoine, 1955 – « L’arrivée »
Toutes les chimères Je les ai jetées dans La machine à déchiqueter Visages images Circonvolutions Les pointillés du hasard Qui ne conduisent nulle part Les ricanements des actions Jamais escomptées Les intentions parfaites Les blessures secrètes
Assurément Par ton goût âcre et vif Tu as mauvaise presse (En dépit de tes multiples atouts) Mais que tu sois blanc rose ou violet Je t’aime protège-moi je te prie Dissuade autour de moi Mauvais œil vampires zombies Mais aussi amoureuses importunes.
Rumes 31/10/2018
Illustration : Sandrine Verdier, 2010 – Têtes et gousses d’ail