Péplums

Tous les dimanches après-midi nous allions en famille au cinéma dans la ville frontalière de Mouscron, précisément dans le quartier du Mont-à-Leux. Bien sûr, aucun loup ne rôdait plus dans ces lieux depuis bien longtemps.

Le cinéma était alors une distraction éminemment populaire et les salles obscures étaient bondées. Des strapontins, en bout de rangées, permettaient néanmoins à quelques spectateurs surnuméraires de pouvoir s’asseoir (dans un relatif inconfort, mais c’était mieux que rester debout comme cela arrivait régulièrement en attendant qu’une place se libère).

Il y avait trois cinémas au Mont-à-Leux, répartis dans un mouchoir de poche : le Capri, juste à la frontière, l’Eldorado, dans une rue transversale, et le Scala qui comportait en outre un dancing.

Avant d’arriver à la frontière, nous courions, mon frère et moi — à peine était-elle en vue — vers une maison qui exposait à l’une de ses fenêtres une affiche du film principal programmé dans l’un de ces trois cinémas. C’était l’âge d’or des péplums italiens. Que nous appelions les « films de Romains ».

Parfois (exceptionnellement), dans ces cinémas, on passait un film en version originale italienne (sous-titré, bien sûr, en français et sans doute aussi en flamand). Je me souviens encore de la réplique d’un serviteur (dans un film qui n’était pas un péplum). Il venait, dans une scène, dire à ses maîtres : « Per causa della tempesta il ponticino è crollato e le carrozze restano bloccate ! ».

Bruxelles 16/12/2015

Illustration : Affiche du film « Hercule à la conquête de l’Atlantide » péplum franco-italien réalisé par Vittorio Cottafavi (1961)

René Grousset, « Le bilan de l’Histoire »

Lorsque, pour la première fois, adolescent, j’ai lu « Le bilan de l’Histoire » de René Grousset, j’en suis resté émerveillé. Synthèse brillante, fluidité dans l’expression, écriture claire et précise.

Il y a des livres qui apportent de l’énergie, qui dispensent un fluide vital. C’est le cas de ce livre, en ce qui me concerne. Chaque fois que je le relis, j’y trouve un bonheur diffus, une irradiante allégresse.

Il est évident qu’à travers les objets et les œuvres d’arts qui nous plaisent, les ouvrages qui nous transportent, les personnages qui nous sont chers, transparaissent et se renforcent notre « étoffe », nos aspirations, en un mot notre être.

Lorsque j’eus acquis une vision plus rapprochée du profil biographique de René Grousset, je compris d’autant mieux la puissance de mon attrait pour la personnalité du grand historien orientaliste.

René Grousset avait suivi un parcours « atypique ». Il ne fut pas un universitaire, au sens académique du terme et avait été en butte à une certaine condescendance voire hostilité des historiens professionnels.

Ils lui reprochaient, en quelques sorte, de marcher sur leurs plates-bandes alors qu’il n’était qu’un « fonctionnaire des Beaux-Arts » (il fut conservateur aux musées Cernuschi et Guimet), d’ignorer les langues orientales (il ne connaissait ni le chinois, ni le persan, ni l’arabe), de ne pas s’inscrire dans une vision « progressiste » (marxiste) de l’histoire (il défendait de profondes convictions catholiques).

Et pourtant, les livres qu’il a écrits sont devenus des ouvrages de référence pour la connaissance des cultures asiatiques (notamment concernant l’histoire de la Chine, l’histoire des guerriers nomades, l’histoire de l’art). Il a été universellement reconnu et a été reçu à l’Académie française en 1946.

La chute des idéologies qui prétendaient expliquer les ressorts des hommes uniquement par le déterminisme économique et social rend le parcours intellectuel et la vision humaniste de René Grousset d’autant plus actuels.

Dans ses ouvrages, le grand historien soulignait le rôle central des mentalités, de la volonté, des passions dans les enchaînements historiques. Toute son œuvre a été bâtie à partir d’une vision intuitive et empathique des faits, reconstitués magistralement grâce à une érudition profonde, à de solides références, à une connaissance empirique des œuvres d’art.

Sans doute, à travers mon admiration pour René Grousset avais-je trouvé un modèle idéal pour y fondre mon propre parcours irrégulier (scolaire, professionnel, littéraire).

Lorsque, voici quelques années, j’ai visité, à plusieurs reprises, le Musée Guimet, dans les salles rénovées, à travers les sourires des bouddhas khmers, j’ai tâché de capter la présence en filigrane de l’illustre historien de l’Orient.

Rumes 3/02/2008

Illustration : René Grousset (1885-1952)

Gli angeli della mia guerra

Gli angeli della mia guerra
Stavano in piedi ad osservare
E tacevano mentre balbettavo
Sillabe poi mai ripudiate

Nella città scurita inseguivo
Il nemico più inafferrabile
E tremavo ogni sera nell’apprendere
La mia disfatta inarrestabile

Nemmeno le statue enfatiche potevano
Distrarmi da questa densità folgorante.

Bruxelles 30/06/1987

Illustration : Luce Balla (1904-1994) – Durante l’oscuramento

Assis sur le bord du monde

Assis sur le bord du monde
Je contemple en silence
Rouages ressorts vis et boulons
Qui soutiennent le monde
Tout au loin d’autres mondes
Qui reflètent d’autres rouages
Engrenages poulies et chaînons
En un jeu de miroirs savants
Illuminés tous ces mondes
Par d’innombrables lampions

Et tout cela (moi-même y compris
Assis sur le bord du monde)
Reflété par les synapses
De mon imagination

Pure illusion ?

Rumes 8/09/2022

Illustration : Vision artistique de la Terre plate

Autodafé

Détruire les vieux cahiers
Les pages imprimées
Et tout ce qui ressemble
A une feuille écrite

Les rangées de livres
Dans les bibliothèques
Sont peut-être les barreaux
D’une invisible prison.

Tourcoing 11/11/1976

Illustration : Etienne-Louis Boullée, 1786 – Second projet de Bibliothèque royale (Paris, France)