
Bien avant l’avènement des avions charters, sous la houlette de la compagnie belge Wasteels, on avait institué, pour se rendre en Italie, des « trains spéciaux ». Leur particularité ? On évitait les soucis de correspondances : le train spécial vous emmenait directement à destination.
Sur le quai du départ, c’était toutes les Calabres, les Siciles et les Pouilles qui se donnaient rendez-vous. Le convoi, plein à craquer, s’élançait enfin, emportant dans le cœur des passagers les aspirations merveilleuses liées à ce retour momentané au pays.
L’exode estival de ces Italiens de l’étranger constituait un spectacle haut en couleurs. Amoncellement de bagages, de sacs et de paquets de toutes sortes, cris, rires, éclats de voix, adultes et enfants entremêlés. Beaucoup de femmes âgées s’habillaient encore de noir, suivant la tradition. Les valises en cartons étaient, pour la plupart, ficelées par excès de précautions.
Le voyage durait trois jours et deux nuits jusqu’en Sicile, la destination la plus distante.
Immédiatement, une grande familiarité s’instaurait entre voyageurs. C’était d’interminables conversations, des notes de guitare, de mandoline ou d’accordéon qui se répandaient dans les wagons. Et puis on sortait boissons, œufs durs, sandwiches, saucissons…
On passait le temps à regarder le paysage : la Lorraine industrielle avec ses hauts-fourneaux (en traversant cette région, on s’amusait de la flopée de noms de villes se terminant en –ange), les lueurs helvétiques dans la somnolence de la nuit et puis il y avait les tunnels innombrables et le cliquetis des rails et le balancement des wagons.
L’émerveillement se produisait au petit matin, après le Saint-Gothard. La Suisse italienne servait de prologue. D’un coup tout avait changé : les couleurs, l’architecture, la température, les sonorités, l’ambiance.
Enfin l’Italie et la course soutenue tout le long de la péninsule. Milan, Bologne, le franchissement des Apennins, Florence, Rome, Naples. Après Naples, le train longeait la côte Tyrrhénienne, presque en continu. Une Méditerranée de rêve ! On pouvait presque toucher la mer du bout des doigts !
Et puis la nuit des Calabres, à peine éclairée ici et là par les lueurs des villages lointains accrochés à flanc de montagnes et le scintillement des barques équipées pour la pêche au lamparo.
Enfin, le détroit de Messine, la chaleur caniculaire, Taormina, le panache de l’Etna…
On s’accoudait aux fenêtres des compartiments ou le plus souvent aux fenêtres du couloir des wagons pour sentir l’air chaud frôler la peau, agiter les cheveux, en dépit de l’avertissement indiquant : « È pericoloso sporgersi ».
Bruxelles 2/02/2016
Illustration : F. Corbetta, 1853 – « Veduta d’Italia »
Carte de la péninsule italienne suivant une perspective inhabituelle