René Grousset, « Le bilan de l’Histoire »

Lorsque, pour la première fois, adolescent, j’ai lu « Le bilan de l’Histoire » de René Grousset, j’en suis resté émerveillé. Synthèse brillante, fluidité dans l’expression, écriture claire et précise.

Il y a des livres qui apportent de l’énergie, qui dispensent un fluide vital. C’est le cas de ce livre, en ce qui me concerne. Chaque fois que je le relis, j’y trouve un bonheur diffus, une irradiante allégresse.

Il est évident qu’à travers les objets et les œuvres d’arts qui nous plaisent, les ouvrages qui nous transportent, les personnages qui nous sont chers, transparaissent et se renforcent notre « étoffe », nos aspirations, en un mot notre être.

Lorsque j’eus acquis une vision plus rapprochée du profil biographique de René Grousset, je compris d’autant mieux la puissance de mon attrait pour la personnalité du grand historien orientaliste.

René Grousset avait suivi un parcours « atypique ». Il ne fut pas un universitaire, au sens académique du terme et avait été en butte à une certaine condescendance voire hostilité des historiens professionnels.

Ils lui reprochaient, en quelques sorte, de marcher sur leurs plates-bandes alors qu’il n’était qu’un « fonctionnaire des Beaux-Arts » (il fut conservateur aux musées Cernuschi et Guimet), d’ignorer les langues orientales (il ne connaissait ni le chinois, ni le persan, ni l’arabe), de ne pas s’inscrire dans une vision « progressiste » (marxiste) de l’histoire (il défendait de profondes convictions catholiques).

Et pourtant, les livres qu’il a écrits sont devenus des ouvrages de référence pour la connaissance des cultures asiatiques (notamment concernant l’histoire de la Chine, l’histoire des guerriers nomades, l’histoire de l’art). Il a été universellement reconnu et a été reçu à l’Académie française en 1946.

La chute des idéologies qui prétendaient expliquer les ressorts des hommes uniquement par le déterminisme économique et social rend le parcours intellectuel et la vision humaniste de René Grousset d’autant plus actuels.

Dans ses ouvrages, le grand historien soulignait le rôle central des mentalités, de la volonté, des passions dans les enchaînements historiques. Toute son œuvre a été bâtie à partir d’une vision intuitive et empathique des faits, reconstitués magistralement grâce à une érudition profonde, à de solides références, à une connaissance empirique des œuvres d’art.

Sans doute, à travers mon admiration pour René Grousset avais-je trouvé un modèle idéal pour y fondre mon propre parcours irrégulier (scolaire, professionnel, littéraire).

Lorsque, voici quelques années, j’ai visité, à plusieurs reprises, le Musée Guimet, dans les salles rénovées, à travers les sourires des bouddhas khmers, j’ai tâché de capter la présence en filigrane de l’illustre historien de l’Orient.

Rumes 3/02/2008

Illustration : René Grousset (1885-1952)

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