L’Imposteur je le connais peu

L’Imposteur je le connais peu
C’est un chat bicolore
Qui vient traîner parfois dans le jardin
Il ne craint pas de s’approcher
Jusque devant les fenêtres
Comment le reconnaître
Une large bande blanche
Traverse son noir flanc droit
L’Imposteur ainsi l’avais-je dénommé
Car confondu plusieurs fois
Avec l’Astuce mon chat familier
Au pelage noir et blanc idem.

Rumes 5/05/2020

Illustration : Arcangelo Petrantò, 2022 – L’Imposteur

L’avion de la Hinthial Air Line

L’avion de la Hinthial Air Line
Prit son envol à 8h24
(Rien à signaler pendant la traversée)
L’atterrissage s’effectua
A 15h47 comme prévu

Mais à l’arrivée
L’équipage et les passagers
Avaient disparu

Après une enquête minutieuse
On découvrit l’ignoble vérité :
L’avion était carnassier.

Bruxelles 23/05/1991

Illustration : Arcangelo Petrantò, 2020 – Traînée de condensation d’avion, Parc des Cinq Rocs, Calonne (Belgique)

Bibliothèque « privée »

Le Centre culturel de Tourcoing avait été réactivé après une période de léthargie.

Pour l’occasion, on avait invité quelques jeunes étrangers présents dans la ville, notamment une Camerounaise… et deux Siciliens : Angelo Gallo, mon cousin, et moi-même.

Evidemment, un journaliste (en l’occurrence de « La voix du Nord ») était venu faire une photo de l’évènement local et avait écrit un bref article pour l’une des éditions des jours suivants.

Un dialogue interculturel avant l’heure. Du moins dans les intentions. Bien sûr, cela n’a duré que ce que durent les roses, le temps de quelques rencontres, mais j’ai gardé de ces échanges le goût du dialogue, de la découverte de l’autre.

Exit ce candide exotisme, je me pris d’affection pour la bibliothèque du lieu. Non pas tant pour les livres dont la plupart n’étaient pas récents mais surtout pour l’environnement.

Car je me rendis compte assez rapidement que peu de gens (pour ne pas dire personne) fréquentaient cette bibliothèque.

Le cadre me convenait, j’en fis ma salle d’étude privée — je pouvais même consulter sur place diverses revues auxquelles le Centre était abonné, notamment les fameux magazines américains « Time » et « Life ».

La pièce était assez spacieuse sans être pour autant démesurée. Bien éclairée et bien chauffée, elle disposait de chaises et d’une grande table. J’y établis mes quartiers. C’était parfait.

C’est ainsi que pendant toute la durée de mes études secondaires, la bibliothèque du Centre culturel est devenue ma deuxième maison. Là, j’ai fait nombres de devoirs scolaires, j’ai élaboré des projets, j’ai composé des textes poétiques.

C’était ma retraite secrète, l’endroit où je pouvais me ressourcer. Une solitude bénéfique.

Bruxelles 1/02/2016

Illustration : Magazine « LIFE », page de couverture du 4 mars 1966

Moi aussi je m’attendais

Moi aussi je m’attendais
A des rencontres éclatantes
Des voyages étranges
Des hasards merveilleux et improbables

Mais hélas !
Je n’ai parlé qu’à des personnes banales
Et mes destinations figuraient
Dans les catalogues des agences de voyages

Comme une purée de pois
M’enveloppaient des cercles grisâtres

Et mes propres fantasmes passaient
Au-dessus de ma tête comme des nuages

Par deux fois j’ai connu l’humiliation
D’avoir été knock-down et j’ai entendu
Distinctement l’arbitre compter
« Seven, eight, nine »

Mais par deux fois j’ai reconnu
Le fil d’Ariane.

Tournai 4/05/2004

Illustration : Crispijn van de Passe, 1602-1607 – Thésée et Ariane et le labyrinthe du Minotaure

Avec leur mimétisme inattendu

Avec leur mimétisme inattendu
A même les aspérités
Intérieures du corps
Que faut-il de plus
Pour appréhender la peur ?

Etre fort
C’est reconnaître
La nature oppressante
Du réel généré par l’exil

A travers la conscience
Entr’ouverte à peine
S’enfuient les serpents
Amers lancinants et cruels.

Taintignies 26/03/1983

Illustration : Guido Mocafico, 2007 – « Serpens »

(Dedicato alle donne afgane)

Ci hanno detto il mondo è buio
E per questo è meglio chiuderlo
Non sappiamo quanto sia buio
Per noi è chiuso e buio

Ci aggiriamo per il mondo misero
Con un recinto che portiamo addosso
Sappiamo che il mondo è misero

Vediamo il mondo
Attraverso un finestrino
Il mondo nostro prigioniero
Che trasciniamo ogni momento
Altrove le nostre sorelle
Dicono che il mondo è bello.

Tournai 16/06/1998

Illustration : Steve Evans, 2005 – Femmes afghanes portant la burqa

Le casello du zio Carmelo – 5/5

En compagnie de mon frère Santo, j’ai revu le casello il y a de cela quelques années. Mais quelle affreuse déception que cette dernière vision ! La magie des lieux s’en était envolée…

L’accès à la maison était devenu plus difficile, en raison des barrières de sécurité continues bordant la route nationale. Et d’ailleurs, le sentier qui de la route menait en contrebas avait disparu.

Le site entier avait maintenant une triste apparence.

Les lignes ferroviaires avaient été électrifiées si bien que la vue apaisante qui avait fait le charme de l’endroit avait été défigurée par les caténaires et les poteaux.

En outre, la cour située devant le casello avait servi de décharge pour le surplus de terre à l’occasion des travaux d’électrification.

Sur ce monticule avaient poussé des arbustes qui s’élevaient désormais à hauteur de la maison et formant devant elle une tache verte énorme — aussi volumineuse que la maison.

Cette représentation corrompue d’un lieu autrefois merveilleux tout le monde peut encore aujourd’hui le constater de visu. Pas besoin de bouger. Il suffit d’un ordinateur et de Google Street View…

Bruxelles 9/12/2015

Illustration : Capture d’image Google Street View, 2022 (prise de vue Google : 2021), le « Casello ferroviario Calì », Canicattì (Sicile), de nos jours

Le casello du zio Carmelo – 4/5

Nombre d’années après, je suis retourné visiter le casello avec quelques cousins. Une sorte de pèlerinage laïc ! Bien sûr, au terme de son service, mon oncle avait quitté la maison, si bien que n’étant plus gardée ni entretenue, elle avait été partiellement pillée.

Quoique tristement abandonnée à son sort, elle se dressait encore, fière gardienne de la séparation des voies. Elle inspirait le respect et dans ma tête elle résonnait toujours de l’animation qui avait régné jadis en ces lieux. Pour garder le souvenir de cette visite, je fis, à cette occasion, un petit film super 8 (durée trois minutes).

Mais cette incursion groupée au casello, figurant une sorte de patrimoine matériel et immatériel « familial », avait servi aussi de prétexte pour aller cueillir des « babbaluci » (petits escargots) qui grimpaient le long des tiges dans un terrain voisin où ces bestioles se rassemblaient en grand nombre.

Il faisait très chaud et en passant devant un puits perdu au beau milieu de la campagne, on demanda au paysan qui se trouvait à proximité l’autorisation de boire. Nous nous désaltérâmes. De retour en ville, les femmes s’appliquèrent à préparer les escargots en suivant une recette traditionnelle à l’ail.

Je me réjouissais déjà de ce repas du soir, lorsque, à l’improviste, une indigestion affreuse, accompagnée de crampes, vint me mettre complètement K.-O. « C’est à cause de l’eau pesante que tu as bue !… », entendis-je, autour de moi, à de nombreuses reprises.

Etendu sur le lit d’une chambre voisine, esseulé, abattu, j’entendais les rires et les éclats de voix de la tribu en train de savourer les escargots que j’avais contribué à cueillir l’après-midi.

De temps à autre, on venait me voir par sympathie, pour s’assurer que je supportais le jeûne…

Tournai 8/12/2015

Illustration : Marie-Claire Deldaele (Maïka), 2007 – « Casello ferroviario Calì », Canicattì (Sicile)

Le casello du zio Carmelo – 3/5

Ce casello aurait sans doute fourni à Delvaux l’inspiration pour un tableau à la gloire des chemins de fer. Un de ces tableaux avec des femmes nues déambulant à côté des rails.

Moi, modestement, j’en ai tiré une photo en noir et blanc mais d’une facture que j’ose qualifier de « classique » par son cadrage et les justes proportions de l’ensemble.

Cette image conserve dans la vision qu’elle déploie une quiétude que l’on peut ressentir encore maintenant lorsqu’on la regarde.

Parce qu’elle a circulé dans la famille, cette représentation du casello est restée dans la mémoire familiale comme le havre de tranquillité d’un temps révolu.

Par la suite, deux artistes peintres ont été aussi conquis par cette image et l’ont reproduite en couleurs, sur base de mes indications. L’une sous forme d’élégante aquarelle, l’autre sous forme de tableau en peinture acrylique.

Tournai 7/12/2015

Illustration : Georges Michel, 2007 – « Casello ferroviario Calì », Canicattì (Sicile)