Le casello du zio Carmelo – 2/5

Nous passions, lors de chaque séjour annuel en Sicile, plusieurs jours au casello. J’en garde encore aujourd’hui des souvenirs merveilleux, et parfois cocasses.
L’un des plus surréalistes et parmi les plus tenaces aurait même pu inspirer le peintre Delvaux !

Sachant que nous demeurions au casello, des membres de la famille venaient nous rendre visite. C’étaient alors d’interminables conversations, entrecoupées de rires et d’exclamations. L’occasion aussi de prendre un repas tous ensemble.

L’oncle Carmelo préparait un barbecue et l’on entendait déjà crépiter le bois sec en train de brûler. Au menu ? Des saucisses et des côtes d’agneau ! Les tables étaient dressées dans la cour devant la maison. Moi-même j’agrémentais la scène en jouant de l’accordéon.

Le casello n’étant pas desservi par l’électricité, aussitôt que l’obscurité avait commencé à envahir les lieux, la zia Carmelina allumait des lampes à pétrole qu’elle disposait pour la tablée.

Le repas était consommé dans la joie et la bonne humeur — dans la chaleur du soir et sous le scintillement de la voie lactée —, entre les trains qui montaient ou descendaient de Canicattì, de part et d’autre du casello.

Dans l’encadrement des fenêtres grandes ouvertes et illuminées des wagons apparaissaient les voyageurs, en contrejour : « Bon appétit et à votre santé ! » lançaient-ils avec force gestes, en riant et tout en s’éloignant, et nous tous depuis la cour du casello on répondait en les saluant de la main ou en levant nos verres ! Et cela n’interrompait pas le chant des grillons.

Tournai 7/12/2015

Illustration : Paul Delvaux, 1957 – Train du soir

Le casello du zio Carmelo – 1/5

Avec l’avènement des chemins de fer, au 19e siècle, ce fut pour l’architecture et l’ingénierie tout un nouveau champ d’action qui prit son essor : ouvrages de viabilité, ponts, viaducs, tunnels et surtout gares qui deviendront, au fil du temps, de plus en plus centrales et monumentales.

Semés comme les cailloux du Petit Poucet, on trouvait aussi tout le long des lignes de chemins de fer des maisons cantonnières qu’en Italie on appelait « caselli ferroviari ».
Elles étaient destinées au personnel des services des chemins de fer (notamment aux garde-barrières) et disposées à intervalles plus ou moins réguliers le long des lignes qui desservaient le territoire national.

Les tronçons de rails et autres installations annexes situés dans le voisinage immédiat de ces maisons de fonction pouvaient ainsi faire l’objet, de la part des cantonniers (et de leur famille indirectement), d’un entretien permanent ainsi que d’une surveillance appropriée contre tout acte de malveillance.

L’avantage social que constituait la mise à disposition d’un logement familial venait augmenter la loyauté du personnel envers l’Etat ou les compagnies gestionnaires.
Ces maisons cantonnières étaient en général très simples mais parfaitement fonctionnelles et disposaient même souvent d’un four, d’une remise et d’un jardin potager.

Mon grand-père maternel, appelé familièrement « Papà Sa », qui s’était engagé dans les chemins de fer avant la guerre de ‘40, avait déjà pu bénéficier de cet avantage matériel.

Il va de soi que les hasards de l’affectation conjugués aux nécessités du service pouvaient vous mener dans un endroit ordinaire ou bien au contraire dans un environnement complètement isolé voire même sauvage.
Mon oncle Carmelo, le fils ainé de Papà Sa, avait choisi de suivre, pour son travail, les pas de son père. Une fois engagé dans les chemins de fer de l’Etat, il bénéficia, lui aussi, d’une maison cantonnière, un « casello ».

Le casello qu’on lui assigna était situé à quelques kilomètres de Canicattì, au point précis de l’embranchement des deux voies, à cette époque non encore électrifiées, qui conduisaient l’une vers Agrigente, l’autre vers Caltanissetta.
Cette maison avait été construite juste en dessous d’une petite butte, à l’endroit où les voies se frayaient chacune un chemin par des passages encaissés.

Quand on arrivait par la route nationale qui passait à proximité, on pouvait voir en contrebas le casello. Il avait une fière allure. Il apparaissait à mes yeux d’enfant tel un château-fort ou un fortin. Car la maison ainsi qu’une large surface devant celle-ci étaient protégées des voies par des murs assez hauts et épais.

Venant de France par chemin de fer — après un voyage qui avait duré trois jours et deux nuits — avant de parvenir à Canicattì, notre lieu de destination, nous devions passer nécessairement devant le casello.
Celui-ci se dressait ni trop près ni trop loin de la ville, de telle sorte que les trains en partance de la gare, en dépassant le casello, n’avaient pas encore atteint leur vitesse de croisière et que les trains rejoignant Canicattì, en passant devant le casello, avaient largement commencé à décélérer.

Connaissant l’heure de passage du train, la tante Carmelina et ses enfants sortaient alors de leur maison afin de nous saluer. Au moment propice du passage ma mère leur lançait, par la fenêtre du wagon, un petit colis contenant des friandises, du chocolat notamment.

C’était une façon acrobatique de matérialiser notre arrivée auprès de la famille.

Bruxelles 3/12/2015

Illustration : Arcangelo Petrantò, 1965 – « Casello ferroviario Calì », Canicattì (Sicile)

Istante per istante

Quasi non facciamo altro che controllare la realtà : la fermata della metro, il negozio dell’angolo di strada, toccare con mano il permanere del cellulare.

Quasi avessimo paura che cambiasse all’improvviso il mondo reale, che venisse a chiudersi senza preavviso un sipario virtuale.

Per assicurarci di essere ancora vivi istante per istante ?

Tournai 17/11/2009

Illustration : Arcangelo Petrantò, 2023 – « Rideau rouge »
Image générée par IA (intelligence artificielle)

Urvaterland

La patrie originelle
C’est la patrie des idées
La terre d’où elles viennent
Comme autant d’oiseaux
Myriades colorées et nouvelles

Cette migration pourtant
Qui ressemble à un rêve
Quelqu’un pourra-t-il me dire
Quel est le pays des idées ?

Tourcoing 5/04/1976

Illustration : Arcangelo Petrantò, 2019 – Plage de Middelkerke (Belgique)

Les variations du monde

Les variations du monde s’ouvraient à mes désirs illimités
J’avais été initié à l’alchimie par laquelle je pouvais
Modifier maintenant la réalité et moi-même

Je devenais saurien dans un monde pré-humain
Entouré de plantes archaïques

Des falaises rougeâtres limitaient un océan tiède

Dans une eau primordiale
J’étais bulle parmi d’autres bulles
Dans un marécage
J’étais émanation de méthane

Une terre bruissante d’humains à têtes multiples et

                                                                     [horribles

J’avais des yeux d’oiseau et pouvais voir mon corps

                                                                     [d’oiseau
Les ailes déployées entièrement je planais
Par-dessus les étendues de forêts bleuâtres
Ou des surfaces criblées de cratères gigantesques

Le feu s’étendait à travers moi
J’étais le feu tentaculaire enjambant et
Embrasant tout dans une fusion dévorante
J’étais flammèche
J’étais lave incandescente
J’étais soleil.

Bruxelles 4/03/2004

Illustration : Une grue en vol

Più avanti

Più avanti
Il branco correva
Lungo il meandro
Del fiume
Appartata
Forse lei ha sentito
Le grida forse
È stato l’istinto
Oppure l’intuito
Il cesto leggero
Fluttuava contro
La riva nel cesto
La lupa ha trovato
Romolo e Remo.

Bruxelles 18/06/1997

Illustration : Annibale Carracci, 1590-1591 – Romulus et Rémus allaités par la louve, palais Magnani, Bologne (Italie)

D’abord cracher vomir extirper

D’abord cracher vomir extirper
Ce qui était envenimé
Abolir la souffrance insidieuse

Ensuite reprendre à pleines mains
Le présent saisir l’intense
Me réapproprier la mesure des mondes
Restaurer la conscience

Enfin rendre claires les images
Que j’énonce transformer les menaces
Et l’angoisse même en vastes orages bienfaisants.

Taintignies 4/08/1989

Pique-nique

Souvenir d’un moment insouciant et merveilleux, celui d’un pique-nique de plusieurs familles italiennes dans un terrain vague près des appartements où nous logions.
Mon oncle Gaétan prends des photos. Dans l’une d’entre elles que j’ai retrouvée, je suis accroupi et ne regarde pas l’objectif. Il y a un voisin guitariste et un autre qui joue de l’harmonica. Mon père est en train de chanter.
Je remarque dans la photo qu’il porte une cravate, même pendant ce moment de détente. Ce devait être un dimanche. A l’époque on travaillait aussi le samedi.
A l’arrière-plan, l’image floue de ma grand-mère Margherita.

Bruxelles 8/01/2016

Illustration : Archives familiales, fin des années 1950, pique-nique