
Avec l’avènement des chemins de fer, au 19e siècle, ce fut pour l’architecture et l’ingénierie tout un nouveau champ d’action qui prit son essor : ouvrages de viabilité, ponts, viaducs, tunnels et surtout gares qui deviendront, au fil du temps, de plus en plus centrales et monumentales.
Semés comme les cailloux du Petit Poucet, on trouvait aussi tout le long des lignes de chemins de fer des maisons cantonnières qu’en Italie on appelait « caselli ferroviari ».
Elles étaient destinées au personnel des services des chemins de fer (notamment aux garde-barrières) et disposées à intervalles plus ou moins réguliers le long des lignes qui desservaient le territoire national.
Les tronçons de rails et autres installations annexes situés dans le voisinage immédiat de ces maisons de fonction pouvaient ainsi faire l’objet, de la part des cantonniers (et de leur famille indirectement), d’un entretien permanent ainsi que d’une surveillance appropriée contre tout acte de malveillance.
L’avantage social que constituait la mise à disposition d’un logement familial venait augmenter la loyauté du personnel envers l’Etat ou les compagnies gestionnaires.
Ces maisons cantonnières étaient en général très simples mais parfaitement fonctionnelles et disposaient même souvent d’un four, d’une remise et d’un jardin potager.
Mon grand-père maternel, appelé familièrement « Papà Sa », qui s’était engagé dans les chemins de fer avant la guerre de ‘40, avait déjà pu bénéficier de cet avantage matériel.
Il va de soi que les hasards de l’affectation conjugués aux nécessités du service pouvaient vous mener dans un endroit ordinaire ou bien au contraire dans un environnement complètement isolé voire même sauvage.
Mon oncle Carmelo, le fils ainé de Papà Sa, avait choisi de suivre, pour son travail, les pas de son père. Une fois engagé dans les chemins de fer de l’Etat, il bénéficia, lui aussi, d’une maison cantonnière, un « casello ».
Le casello qu’on lui assigna était situé à quelques kilomètres de Canicattì, au point précis de l’embranchement des deux voies, à cette époque non encore électrifiées, qui conduisaient l’une vers Agrigente, l’autre vers Caltanissetta.
Cette maison avait été construite juste en dessous d’une petite butte, à l’endroit où les voies se frayaient chacune un chemin par des passages encaissés.
Quand on arrivait par la route nationale qui passait à proximité, on pouvait voir en contrebas le casello. Il avait une fière allure. Il apparaissait à mes yeux d’enfant tel un château-fort ou un fortin. Car la maison ainsi qu’une large surface devant celle-ci étaient protégées des voies par des murs assez hauts et épais.
Venant de France par chemin de fer — après un voyage qui avait duré trois jours et deux nuits — avant de parvenir à Canicattì, notre lieu de destination, nous devions passer nécessairement devant le casello.
Celui-ci se dressait ni trop près ni trop loin de la ville, de telle sorte que les trains en partance de la gare, en dépassant le casello, n’avaient pas encore atteint leur vitesse de croisière et que les trains rejoignant Canicattì, en passant devant le casello, avaient largement commencé à décélérer.
Connaissant l’heure de passage du train, la tante Carmelina et ses enfants sortaient alors de leur maison afin de nous saluer. Au moment propice du passage ma mère leur lançait, par la fenêtre du wagon, un petit colis contenant des friandises, du chocolat notamment.
C’était une façon acrobatique de matérialiser notre arrivée auprès de la famille.
Bruxelles 3/12/2015
Illustration : Arcangelo Petrantò, 1965 – « Casello ferroviario Calì », Canicattì (Sicile)
Souvenirs d’enfance
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