Invité (ce 25 novembre) à présenter, à la foire commerciale de Mons, au stand italien, mon livre « Histoire des Italiens en Belgique — de César à Paola », j’arrivai, avec JM, en retard au rendez-vous. Je m’étais embrouillé à la sortie de l’autoroute. Il fallut venir nous chercher et nous indiquer la route, perdus comme nous l’étions dans l’enchevêtrement des rues de Mons-Borinage. En raison du retard, le programme de la soirée avait été un peu bouleversé. Après mon intervention, on devait projeter le film « Déjà s’envole la fleur maigre » de Paul Meyer, tourné en 1959. On inversa l’ordre des choses. En arrivant, JM et moi fûmes invités à nous asseoir et à regarder le film qui avait commencé. « Déjà s’envole la fleur maigre » est un film mi-fiction mi-documentaire sur l’immigration des Italiens venus travailler dans les charbonnages de Mons-Borinage dans les années 1950. Pendant la projection, je remarquai qu’un groupe de personnes d’un âge tournant autour de la soixantaine chahutait derrière nous. Cela devenait même incommodant. Mais en faisant attention à ce qu’ils se disaient, je notai qu’ils émettaient des remarques sur le film. « — Ah ! Cet endroit c’était le Vatican… » disait l’un. « — Ah ! Tu reconnais… » répondait l’autre. Lors de la scène où l’on voit des enfants descendre un terril en se laissant glisser assis sur des moules à tarte j’entends : « — Oh ! C’est Giovanni ! Dommage qu’il ne soit pas là !… » « — Il est parti boire un verre… » Je compris alors que c’étaient eux les enfants du film de 1959. Un regard devant, un regard derrière : en pivotant ma tête je jouais à saute-mouton avec le temps.
Bruxelles 8/12/2005
Illustration : Paul Meyer, 1959 – « Déjà s’envole la fleur maigre » (photogramme tiré du film)
A quoi sert de courir Avait dit le lièvre Si la tortue arrive Toujours en premier Zénon avait raison J’étais parti à point Pourtant n’en déplaise A monsieur de la Fontaine Je vais me retirer Sur le mont Kemmel J’y ferai du slalom Entre les fougères Pour me distraire.
Rumes 24/01/2020 Illustration : Milo Winter, 1919 – Le lièvre et la tortue
Les mannequins assis en rang Esquissaient un sourire malhabile Et restaient attentifs néanmoins Comme à un briefing
Revêtus de manière identique Ils attendaient que soit fixé Leur sort définitif Collision frontale ou latérale Eventration banale Ou décapitation rapide Déchirement des membres Broiement de la cage thoracique Ou encore épreuve unique des flammes
A deux pas des caméras-moteurs Ils étaient prêts à ressentir Leur destin tout à fait expérimental Digne des meilleurs téléfilms.
Mes parents, pour venir s’installer en France et disposer d’un peu d’argent, avaient vendu, en Sicile, les quelques biens (modestes) dont ils étaient propriétaires.
Mon père avait répondu à un appel de main-d’œuvre du gouvernement français. Il avait été engagé pour travailler dans le bâtiment (le patron de l’entreprise avait un nom polonais). Il est parti en premier, sans doute aussi pour s’assurer qu’il pourrait faire suivre sa famille dans les meilleures conditions.
Je me souviens parfaitement de mon arrivée en France. J’allais avoir cinq ans. La gare de Lille. Le tram qui nous conduisait à Tourcoing, ville où nous aurions habité désormais.
Encore maintenant, il m’est difficile d’imaginer qu’à cette époque je ne parlais pas français. Il en était pourtant ainsi. J’ai appris la langue française à l’école, au sens littéral du terme.
Mon premier livre de référence en français (et le seul pendant un certain temps) fut un dictionnaire Larousse datant de 1905 que mon père avait reçu (sans doute d’un voisin qui avait vidé son grenier).
Ce livre a été, pour moi, important. Il a été un fidèle compagnon dans l’apprentissage de la langue et dans la connaissance du monde (certes, quelque peu en différé) — la télévision n’était pas encore arrivée dans notre foyer.
Les définitions relatives à la mythologie et à l’histoire (en particulier les notices biographiques et celles consacrées aux pays) m’intéressaient vivement. Ces textes étaient parfois accompagnés d’images dessinées (il n’y avait pas de photos dans ce dictionnaire).
L’ouvrage utilisait un vocabulaire qui n’est plus guère en usage de nos jours. Ainsi définissait-on Rome : « Ville qui fut longtemps la maîtresse du monde ».
Je ne crois pas que l’histoire se répète mais elle « fonctionne » certainement en spirale (d’où cette impression que parfois l’histoire bégaye).
Quand on relit le dictionnaire Larousse de 1905, on s’aperçoit qu’aujourd’hui — un siècle plus tard donc — de nombreuses entités se sont réappropriées leurs anciennes formes, par-delà le grand tourbillon du 20e siècle.
Que ce soit des noms de pays (Russie, Serbie, Monténégro, Congo), des noms de villes (Saint-Pétersbourg, Nijni Novgorod, Iekaterinbourg, Chemnitz), des drapeaux (celui de l’Espagne avec le rétablissement des armoiries royales, celui de la Russie avec les mêmes couleurs que celles du temps des Tsars).
Les articles consacrés aux pays du monde, le dictionnaire Larousse ne les illustrait pas par une œuvre d’art, un monument, une figure folklorique ou historique ou encore un paysage naturel. Non. Chaque pays était représenté par l’image d’un soldat.
On était en 1905. C’était la contribution française à la préparation de la Première Guerre Mondiale, autrement appelée la « Grande Guerre » (soi-disant la « Der des Der »).
Mon frère et moi jetions un coup de pied dans un caillou chacun notre tour pour arriver jusqu’au conservatoire. A l’époque les péplums étaient à l’ordre du jour. En attendant l’arrivée du prof de violon et pour épater une petite jeune fille qui suivait le même cours on se prenait pour Hercule et Maciste. Le pupitre nous servait d’haltère. Il était quand même assez lourd.
Rumes 1/04/2011
Illustration : Camille Bombois, v. 1930 – Athlète forain
Finita la guerra Egli poteva dedicarsi interamente Al suo diletto passatempo Insieme ai nipotini Si reca in una stanza In cui riproduce Vasti campi di battaglia Con soldatini certo di metallo Ma schierati E pronti al suo comando
E questa volta vince la guerra.
Bruxelles 5/08/1998
Illustration : Constant Le Breton, 1938 – L’enfant aux soldats de plomb
La galerie est magnifique Ah ! Ce tableau est de Gérôme ! Couleurs lumineuses, dessin parfait Il représente Diogène ? Celui qui désobéissait aux convenances Vivait dans un tonneau Et osait même apostropher le grand Alexandre ? On s’y croirait ! C’est beau ! C’est grandiose ! Merci aux sponsors d’avoir permis cette exposition
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Vautré par terre dans un couloir de métro Comment peut-il vivre ainsi celui-ci Dans un parfait dénouement Qui plus est Devant des affiches publicitaires lumineuses ! Quelle honte ! Quel mépris ! Faudrait-il s’extasier devant pareil spectacle ? Le service de sécurité déloge l’intrus ? Tant mieux ! D’ailleurs il ne s’appelle pas Diogène Je ne vois point de tonneau et encore moins de lanterne Et Alexandre est mort depuis belle lurette !