Les contours du courage et du hasard

Leurs montures
L’une rouge et l’autre noire
(Pareilles à l’orage)
Délimitent sur le sable
Les contours du courage et du hasard

Et puis
Sous l’azur
Qui déchire l’instant
Et assume le désir

Affranchis

Les cavaliers de l’exil
S’en retournent
Vers l’intérieur des terres

Sur le bord de mer
Veillent les pins
Sentinelles solitaires.

Taintignies 25/08/1982

Illustration : Carlo Carrà, 1921 – Un pin au bord de la mer

A saute-mouton avec le temps

Invité (ce 25 novembre) à présenter, à la foire commerciale de Mons, au stand italien, mon livre « Histoire des Italiens en Belgique — de César à Paola », j’arrivai, avec JM, en retard au rendez-vous. Je m’étais embrouillé à la sortie de l’autoroute.
Il fallut venir nous chercher et nous indiquer la route, perdus comme nous l’étions dans l’enchevêtrement des rues de Mons-Borinage.
En raison du retard, le programme de la soirée avait été un peu bouleversé. Après mon intervention, on devait projeter le film « Déjà s’envole la fleur maigre » de Paul Meyer, tourné en 1959.
On inversa l’ordre des choses. En arrivant, JM et moi fûmes invités à nous asseoir et à regarder le film qui avait commencé.
« Déjà s’envole la fleur maigre » est un film mi-fiction mi-documentaire sur l’immigration des Italiens venus travailler dans les charbonnages de Mons-Borinage dans les années 1950.
Pendant la projection, je remarquai qu’un groupe de personnes d’un âge tournant autour de la soixantaine chahutait derrière nous.
Cela devenait même incommodant. Mais en faisant attention à ce qu’ils se disaient, je notai qu’ils émettaient des remarques sur le film.
« — Ah ! Cet endroit c’était le Vatican… » disait l’un.
« — Ah ! Tu reconnais… » répondait l’autre.
Lors de la scène où l’on voit des enfants descendre un terril en se laissant glisser assis sur des moules à tarte j’entends :
« — Oh ! C’est Giovanni ! Dommage qu’il ne soit pas là !… »
« — Il est parti boire un verre… »
Je compris alors que c’étaient eux les enfants du film de 1959.
Un regard devant, un regard derrière : en pivotant ma tête je jouais à saute-mouton avec le temps.

Bruxelles 8/12/2005

Illustration : Paul Meyer, 1959 – « Déjà s’envole la fleur maigre » (photogramme tiré du film)

Les mannequins assis en rang

Les mannequins assis en rang
Esquissaient un sourire malhabile
Et restaient attentifs néanmoins
Comme à un briefing

Revêtus de manière identique
Ils attendaient que soit fixé
Leur sort définitif
Collision frontale ou latérale
Eventration banale
Ou décapitation rapide
Déchirement des membres
Broiement de la cage thoracique
Ou encore épreuve unique des flammes

A deux pas des caméras-moteurs
Ils étaient prêts à ressentir
Leur destin tout à fait expérimental
Digne des meilleurs téléfilms.

Tournai 8/03/1988

Illustration : Mannequins de crash-tests

Dictionnaire Larousse 1905

Mes parents, pour venir s’installer en France et disposer d’un peu d’argent, avaient vendu, en Sicile, les quelques biens (modestes) dont ils étaient propriétaires.

Mon père avait répondu à un appel de main-d’œuvre du gouvernement français. Il avait été engagé pour travailler dans le bâtiment (le patron de l’entreprise avait un nom polonais). Il est parti en premier, sans doute aussi pour s’assurer qu’il pourrait faire suivre sa famille dans les meilleures conditions.

Je me souviens parfaitement de mon arrivée en France. J’allais avoir cinq ans. La gare de Lille. Le tram qui nous conduisait à Tourcoing, ville où nous aurions habité désormais.

Encore maintenant, il m’est difficile d’imaginer qu’à cette époque je ne parlais pas français. Il en était pourtant ainsi. J’ai appris la langue française à l’école, au sens littéral du terme.

Mon premier livre de référence en français (et le seul pendant un certain temps) fut un dictionnaire Larousse datant de 1905 que mon père avait reçu (sans doute d’un voisin qui avait vidé son grenier).

Ce livre a été, pour moi, important. Il a été un fidèle compagnon dans l’apprentissage de la langue et dans la connaissance du monde (certes, quelque peu en différé) — la télévision n’était pas encore arrivée dans notre foyer.

Les définitions relatives à la mythologie et à l’histoire (en particulier les notices biographiques et celles consacrées aux pays) m’intéressaient vivement.
Ces textes étaient parfois accompagnés d’images dessinées (il n’y avait pas de photos dans ce dictionnaire).

L’ouvrage utilisait un vocabulaire qui n’est plus guère en usage de nos jours. Ainsi définissait-on Rome : « Ville qui fut longtemps la maîtresse du monde ».

Je ne crois pas que l’histoire se répète mais elle « fonctionne » certainement en spirale (d’où cette impression que parfois l’histoire bégaye).

Quand on relit le dictionnaire Larousse de 1905, on s’aperçoit qu’aujourd’hui — un siècle plus tard donc — de nombreuses entités se sont réappropriées leurs anciennes formes, par-delà le grand tourbillon du 20e siècle.

Que ce soit des noms de pays (Russie, Serbie, Monténégro, Congo), des noms de villes (Saint-Pétersbourg, Nijni Novgorod, Iekaterinbourg, Chemnitz), des drapeaux (celui de l’Espagne avec le rétablissement des armoiries royales, celui de la Russie avec les mêmes couleurs que celles du temps des Tsars).

Les articles consacrés aux pays du monde, le dictionnaire Larousse ne les illustrait pas par une œuvre d’art, un monument, une figure folklorique ou historique ou encore un paysage naturel. Non. Chaque pays était représenté par l’image d’un soldat.

On était en 1905. C’était la contribution française à la préparation de la Première Guerre Mondiale, autrement appelée la « Grande Guerre » (soi-disant la « Der des Der »).

Bruxelles 10/01/2008

Illustration : Dictionnaire Larousse, 1905

Enfance musicale

Mon frère et moi jetions un coup de pied dans un caillou chacun notre tour pour arriver jusqu’au conservatoire.
A l’époque les péplums étaient à l’ordre du jour.
En attendant l’arrivée du prof de violon et pour épater une petite jeune fille qui suivait le même cours on se prenait pour Hercule et Maciste.
Le pupitre nous servait d’haltère.
Il était quand même assez lourd.

Rumes 1/04/2011

Illustration : Camille Bombois, v. 1930 – Athlète forain

Togliendosi l’elmetto

Togliendosi l’elmetto
Il generale apparve quieto

Finita la guerra
Egli poteva dedicarsi interamente
Al suo diletto passatempo
Insieme ai nipotini
Si reca in una stanza
In cui riproduce
Vasti campi di battaglia
Con soldatini certo di metallo
Ma schierati
E pronti al suo comando

E questa volta vince la guerra.

Bruxelles 5/08/1998

Illustration : Constant Le Breton, 1938 – L’enfant aux soldats de plomb

La galerie est magnifique

1

La galerie est magnifique
Ah ! Ce tableau est de Gérôme !
Couleurs lumineuses, dessin parfait
Il représente Diogène ?
Celui qui désobéissait aux convenances
Vivait dans un tonneau
Et osait même apostropher le grand Alexandre ?
On s’y croirait ! C’est beau ! C’est grandiose !
Merci aux sponsors d’avoir permis cette exposition

2

Vautré par terre dans un couloir de métro
Comment peut-il vivre ainsi celui-ci
Dans un parfait dénouement
Qui plus est
Devant des affiches publicitaires lumineuses !
Quelle honte ! Quel mépris !
Faudrait-il s’extasier devant pareil spectacle ?
Le service de sécurité déloge l’intrus ? Tant mieux !
D’ailleurs il ne s’appelle pas Diogène
Je ne vois point de tonneau et encore moins de lanterne
Et Alexandre est mort depuis belle lurette !

Tournai 19/01/2011

Illustration : Jean-Léon Gérôme, 1860 – Diogène